Un architecte en mouvement
L’architecture, ce n’est pas simplement mettre un toit sur nos têtes. C’est aussi exprimer une culture. Sonthaya Sihachakr, cofondateur de l’agence Architectes en Seine, revendique son double héritage franco-laotien.
Architecte du métissage
Quoi de plus ironique, pour un architecte, que d’avoir ses bureaux sur une péniche nommée « Playtime », comme ce film où Jacques Tati se moquait de l’architecture moderne ? Quoi de plus paradoxal pour un bâtisseur du solide que de travailler sur une embarcation flottante ?
« Je suis attiré par l’inattendu, le ludique, l’audacieux, annonce d’entrée de jeu Sonthaya Sihachakr. Je préfère le naïf à l’académique, l’accident aux projets trop rigoureux : un mur de travers peut structurer un espace et lui donner une âme. » À 32 ans, Sonthaya n’a pas l’intention de se la couler douce sur sa péniche.
Avant d’amarrer sur ce quai du treizième arrondissement de Paris, la trajectoire de Sonthaya Sihachakr a commencé au Laos, où il a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans. Dans les années 1990, le pays se remettait à peine de la longue guerre d’Indochine. « C’était encore un pays très fermé, très marqué par le communisme. À cette époque, je rêvais de devenir dessinateur de bandes dessinées ou de réaliser des films. Dans ce pays où la télévision se résumait à une unique chaîne, je ressentais le besoin de créer mes propres histoires et d’inventer d’autres univers. »
L’architecture s’est imposée comme une évidence l’année du baccalauréat. « C’était un parfait compromis entre le dessin et la mise en scène, explique Sonthaya. L’architecture me donnait la possibilité de créer des ambiances de façon concrète. »
Sonthaya a fait ses études à l’École nationale supérieure de Paris-Val de Seine, sur les rives de ce même fleuve où il installera ses bureaux quelques années plus tard. Son diplôme en poche, il a fait ses armes auprès d’un grand nom du métier, Christian de Portzamparc, avant de s’associer en 2011 à deux anciens camarades de classe, Marine Lugassy et Jonathan Walter, pour créer l’agence Architectes en Seine. « On a démarré la boîte sur cette même péniche, mais à l’époque, elle était accostée à Ivry-sur-Seine. »
Tandis que la société gagnait en notoriété, leur atypique bureau a pris la direction de Paris. « J’étais à bord du bateau et j’ai vu mon environnement de travail évoluer de la banlieue jusqu’à cet emplacement actuel. Il y avait quelque chose de magique dans ce déplacement qui nous renvoyait directement à notre métier, à notre objectif : faire rêver les gens ».
Trio de tête
La marque de fabrique d’Architectes en Seine repose sur la confrontation d’idées. Cette méthode est appliquée à chaque projet. Le métissage culturel de Sonthaya se glisse dans les détails. « J’ai été marqué par les pagodes et la sensation qui s’en dégage, que ce soit au niveau de l’architecture extérieure ou de la lumière intérieure, propice au recueillement. C’est quelque chose qui m’inspire quand je conçois un projet. »
Une architecture aux multiples niveaux de lecture qui fait appel à tous les sens dans ses jeux de lumières, ses contrastes de matériaux et ses volumes. Pour mettre en scène ses idées, Sonthaya aime puiser son inspiration dans le cinéma. « Je suis sensible aux ambiances de « Blade Runner » ou encore de « In the Mood for Love ». Concrètement, cela peut se traduire par l’emploi d’un matériau rude et froid, comme le béton par exemple, mais travaillé de façon légère. Je me sers beaucoup du contraste pour provoquer des émotions. »
La Seine porte conseil
Sonthaya espère que ce vent qui lui souffle en poupe le conduira de nouveau au Laos, où il s’efforce d’entamer un renouveau architectural. « Les Laotiens sont très attirés par l’architecture occidentale et mondialisée. Moi, j’ai un objectif plus ambitieux : celui de synthétiser l’âme du Laos dans une architecture moderne, à l’image de ce que Tadao Ando a réussi avec le Japon ! »
Dans son bureau amarré au quai d’Austerlitz, Sonthaya Sihachakr garde les yeux rivés sur la terre ferme, inépuisable source d’inspiration dans ce secteur de l’Est parisien. Sur le quai, il y a la Cité de la mode et du design et son « plug-over » vert chlorophylle qui bouscule les codes stylistiques de la capitale. En contrebas, on peut admirer le ministère de l’Économie, imposant bâtiment qui marqua le début des grandes opérations architecturales de l’ère Mitterrand. Quelques brasses à l’opposé se dessine la gare d’Austerlitz, dont les courbes Second Empire ont été remises au goût du jour par Jean Nouvel. Alors, pour s’imposer sur la scène urbanistique parisienne, Sonthaya ne se contente pas de se laisser porter par le courant.
« Parfois, on nous demande pourquoi on a installé un gorille grandeur nature à la poupe de la péniche. Je crois que cette mascotte est arrivée à un moment où on commençait à devenir trop sérieux. Cette part de ludique doit rester notre signature. »