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Histoire d'Alumni - Portrait d'Emmanuel VERNADAKIS

14 octobre 2024 Affaires
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1. Quel est votre parcours d’études ?

J’ai effectué mes études secondaires au lycée public de Kifissia, dans les années 1970. En France, je me suis inscrit à Paris 7-Jussieu où j’ai suivi deux cursus : lettres modernes, au département des Sciences des Textes et des Documents (STD), et études anglophones, à l’Institut d’anglais Charles V. Dans les années 1980, la littérature comparée connaissait un essor important, et pour mon sujet de thèse, sous la direction de Simone Rosenberg, j’ai cherché à combiner ce double parcours avec mon éducation classique de Grec et ma passion pour la culture juive. Salomé, pièce en un acte qu’Oscar Wilde a rédigée en français sur le modèle de la tragédie grecque, m’a servi de « prétexte » pour proposer un cadre de lecture pour l’ensemble de son œuvre -- rédigée, quant à elle, bien sûr, en anglais -- à partir du conflit culturel victorien entre hébraïsme et hellénisme. Wilde, qui aujourd’hui, fait partie des auteurs classiques, était regardé avec méfiance avant la fin des années 1980. Par exemple, à la bibliothèque américaine de Gennadeion, à Athènes, ses livres n’étaient pas rangés au rayon de littérature, mais aux « Divers » (Miscellanies). 

 

En 2005, j’ai obtenu une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), à l’Université de Poitiers, sous la direction de Liliane Louvel. La note de synthèse et la monographie du dossier portaient sur la poétique du nom propre. A partir d’un corpus de nouvelles et courts romans, j’ai exploré les ancrages sémantiques et structuraux de noms de lieux et de personnages pour avancer l’hypothèse que, si le nom propre est un élément du discours dépourvu de sens selon les linguistes, dans le cadre de la fiction il est non seulement signifiant mais peut, dans certains cas, fonctionner comme une microfiction au sein de la fiction principale. 

 

2. Aujourd’hui, où en êtes-vous dans votre carrière ? Parlez-nous de vos intérêts de recherche.

J’ai intégré l’enseignement supérieur en 1992, élu maître de conférences à l’IUFM de Nantes. Trois ans plus tard, j’ai obtenu une mutation à l’Université d’Angers sur un poste de littérature. Enfin, j’ai été élu professeur aux universités de Saint Etienne et d’Angers, en 2007 et ai opté pour Angers où j’ai enseigné jusqu’en juin 2024. Je parts à la retraite en septembre 2024 et attends la réponse à ma demande de 5 ans d’éméritat pour faire soutenir les doctorants qui travaillent sous ma direction. L’ensemble de ma carrière s’est donc déroulé dans les Pays de la Loire : 32 ans d'enseignement, de recherche, de travail éditorial et de tâches d’intérêt collectif dans l’une des plus belles régions de France.

 

Sur le plan de l’enseignement, j’ai commencé avec la didactique de l’anglais mais ai aussi enseigné l’expression orale et écrite, la grammaire, le thème et la version, la méthodologie et, surtout, la littérature. J’ai créé des cours transversaux sur la mythologie et la bible associées à la peinture et ai monté deux parcours de master à double diplomation : Théâtre et culture européens, avec St Patrick’s College, Dublin City University, Irlande, qui a fonctionné de 2010 à 2013 et, Enseignants de langues en Europe. Formation à la pluralité linguistique et culturelle des publics, en collaboration avec l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes, qui fonctionne depuis 2011.

 

Sur le plan de la recherche, mes intérêts se déclinent en 7 domaines : le théâtre, la forme littéraire de la nouvelle, la littérature juive américaine, la mythologie et la bible, les études sur Oscar Wilde, les études sur Tennessee Williams, et les études sur Anthony Burgess. Au cours des dix dernières années je me suis penché sur le concept de la brièveté en tant que forme qui, en fait, parcourait en filigrane, depuis ma thèse, nombre de mes travaux. Avec deux de mes collègues d’Angers et en association avec 5 autres universités (dont l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes), nous avons réussi à obtenir un financement européen pour un projet intitulé Short Forms Beyond Borders qui s’est déroulé entre 2019 et 2023 https://sfbb-erasmusplus.eu/. J’ai siégé à 27 jurys de thèses et un d’HDR, et ai porté à la soutenance, souvent en cotutelle ou co-encadrement, 8 thèses et une HDR. 

 

Sur le plan de l’édition scientifique, de 1999 à 2013, j’ai eu le privilège de codiriger, avec Linda Collinge, la revue semestrielle franco-américaine Journal of the Short Story in English (JSSE), consacrée à la critique de la nouvelle en langue anglaise <https://journals.openedition.org/jsse/>. Le JSSE, dont je suis actuellement directeur de publication, a longtemps été la seule revue scientifique consacrée à la fiction brève. Elle fête cette année ses 40 ans. 

 

J’ai assuré des responsabilités collectives de pédagogie et de recherche dont voici quelques-unes dans le désordre : président de jurys de diplôme de licence et de master à l’Université d’Angers et, par convention, à l’Université catholique de l’ouest (UCO) ; directeur de la cellule culturelle « Maison des étudiants » qui regroupait l’Université d’Angers, l’Université Catholique de l’Ouest et la Ville d’Angers ; membre de jury de concours (Capes spécifique d’Anglais et Capes de Lettres modernes) ;  membre élu à plusieurs conseils ; président de Comités de sélection pour le recrutement d’enseignants chercheurs ; membre de l’équipe de direction d’Ecoles Doctorales ; directeur de département ; directeur (puis directeur-adjoint) de laboratoire de recherche ; chargé de mission « Relations Internationales » pour la Faculté des Lettres ; vice-doyen de la Faculté des lettres. 

 

Les moments de satisfaction au cours de cette carrière ont été plus nombreux que les moments de déception – pourtant nombreux aussi. Les premiers ont systématiquement été liés à l’enseignement – à la fin de chaque cours qui me semblait réussi. Les autres étaient liés à des pans du métier touchant à la politique. Celle de l’établissement et celle de l’Education nationale, les deux étant liées.    

 

3. Pourquoi avez-vous choisi l'enseignement universitaire français ? Qu’est-ce qui fait la spécificité de votre université ? 

Mon projet (supposons que j’en avais un lorsque, à 17 ans, j’ai quitté Kifissia pour Paris) était d’étudier dans le pays de Jean-Paul Sartre, puis revenir et faire carrière, pas nécessairement académique, en Grèce. Au lieu de Sartre, j’ai eu comme professeurs Jacques Seebacher, Julia Kristeva, Guy Rosa, Rachel Ertel, Richard Marienstras, et au lieu de rentrer à Kifissia, j’ai fait carrière dans les Pays de la Loire. Parfois, ce n’est pas tant le voyageur qui décide de sa destination, c’est le parcours qui le conduit à des lieux nouveaux. Angers, dont je n’avais pas entendu parler avant d’être auditionné à Nantes, m’a accueilli en tant qu’enseignant chercheur et m’a permis de mêler mon savoir, ma culture, ma sensibilité et les expériences de ma vie à ceux des étudiants que j’ai formés. L’une des spécificités de l’Université française est donc de faire confiance à l’altérité, d’offrir à ses enseignants, indépendamment de toute question de culture ou d’origine, une assise solide pour exercer leur métier et, ce faisant, inscrire leurs acquis dans ceux de leur pays d’accueil. 

 

Un autre exemple de ce que je veux dire est la chance qui m’a été donnée de codiriger une revue scientifique internationale et de ce fait, lancer un défi : lorsque Ben Forkner, fondateur du Journal of the Short Story in English (JSSE), m’a fait l’honneur de me confier la direction de cette revue, Angers s’était déjà distinguée au sein des anglicistes français pour ses colloques et publications sur la nouvelle, grâce à cette revue. Mon objectif était alors d’œuvrer, avec Linda Collinge, coéditrice du JSSE, et nos collègues du laboratoire, pour faire d’Angers un lieu privilégié d’études sur la nouvelle à l’international. Nos choix et notre travail ont contribué au lancement, en 2013, d’un réseau européen d’études sur la fiction brève, le European Network for Short Fiction Research (ENSFR), comptant aujourd’hui plus de 100 membres <https://ensfr.univ-angers.fr/>. Présidé par Michelle Ryan, angliciste angevine, le site du réseau est abrité par les services numériques de l’Université d’Angers. En juillet 2023, dans le Livre d’or du colloque de clôture du projet Européen Short Forms Beyond Borders (SFBB) dont il a été question plus haut, l’un des participants internationaux a qualifié l’Université d’Angers comme « le temple de la nouvelle ». Si Angers est aujourd’hui considéré comme un lieu privilégié pour l’étude de la nouvelle, l’objectif a donc été atteint, du moins en partie. Et si un tel objectif a pu être atteint, c’est parce que le système l’a permis, voire soutenu.  

 

L’Université d’Angers est aussi connue pour son expertise dans le végétal et dans le tourisme, deux secteurs bien plus porteurs que celui de la nouvelle en langue anglaise. Ma contribution dans ces domaines est plus modeste. L’un des colloques organisés durant ma direction du laboratoire CRILA (Centre de Recherches Interdisciplinaires en Langue Anglaise) portait sur Le jardin et ses mythes en Grande Bretagne et aux Etats Unis <https://pur-editions.fr/product/6706/le-jardin-et-ses-mythes-aux-etats-unis-et-en-grande-bretagne>. Puis, en 2021, dans le cadre du projet financé par la Région des Pays de la Loire « Aplace4U », dont j’étais porteur, Julie Bonniord a soutenu une thèse associant littérature et tourisme intitulée Entre espaces à lire et textes à jouer : réimaginer l’expérience du tourisme littéraire en milieu numérique <https://www.openedition.org/18657?lang=en>.  

 

4. Que se passe-t-il en France dans ce domaine et en quoi pensez-vous que la coopération internationale est importante dans ce domaine ? Continuez-vous d’entretenir des liens de coopération avec la Grèce ? Si oui, les quels ?

Si ce n’est pas dans le domaine strict de la nouvelle, la recherche sur le bref, sur son écriture, ses rapports au sens, son esthétique, ses usages actuels et diachroniques etc., ainsi que sur les autres formes de représentation qui ont recours à la brièveté, connaît un intérêt croissant en France depuis les années 2000. Comme en témoignent plusieurs journées d’étude, colloques, numéros de revues et autres publications scientifiques, le monde académique se tourne vers le bref qu’il explore dans beaucoup de domaines et à travers différentes formes : de l’épigramme au tweet en passant par le conte, l’image, le théâtre, la chanson, la publicité, le clip, le sms, le pictogramme, le podcast, la caricature, la série télévisée etc. 

 

Les rencontres scientifiques du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle constituent une sorte de baromètre indiquant les tendances dominantes dans les études littéraires, artistiques et philosophiques en France. Ainsi, le colloque de Cerisy de 2015, Le Format court. Récits d’aujourd’hui, < https://cerisy-colloques.fr/formatcourt-pub2019/> signale que l’intérêt de la recherche pour le bref est partagé au sein du monde académique français qui regarde la brièveté comme concept important, voire incontournable de la littérature et des arts visuels du XXIème siècle. Aux Pays de la Loire, entre 2016 et 2019 une douzaine de journées d’études et deux colloques internationaux se sont déroulés centrés sur ce concept en adoptant une perspective formaliste ouverte : des productions artistiques, culturelles, pédagogiques, de communication, de promotion commerciale etc. ont été étudiées à l’aune de la brièveté sous le dénominateur commun de « formes brèves » (Formes brèves et modernité, en 2017, <Formes brèves et modernité, https://atlantide.univ- nantes.fr/-Formes-breves-et-modernite -> et Forces et fragilités de la forme brève, en 2018 < https://www.afef.org/les-temps-de-la-fulgurance-forces-et-fragilites-de-la-forme-breve-0>). La tendance à considérer la brièveté comme forme, avec des caractéristiques qui lui sont propres s’inspire essentiellement des travaux du structuraliste suisse Paul Zumthor et de la théorie développée par C. Levine dans Forms: Hole, Rhythm, Hierarchy, Network (Princeton UP, 2017). Le nombre de publications croissant où la brièveté constitue un concept pivotal fait écho à cet intérêt:  Faire court, par C. Croizy-Naquet et al., Sorbonne nouvelle, 2011), Réinventer la Brachylogie, entre dialectique, rhétorique et poétique, par Patrick Voisin (Garnier 2020), Lire les formes brèves, par Bernard Roukhomovsky, (Armand Colin, 2005), Les Formes brèves, par Alain Montandon, (Classiques Garnier, 2018), Du bref et du court par Monica Zapata (P.U. François-Rabelais , Formes brèves en littérature de jeunesse par Elodie Bouygues et Yvon Houssais (Presses Universitaires de Franche-Comté, 2020), Formes brèves. Au croisement des pratiques et des savoirs, par C. Meynard et E. Vernadakis, Le haiku et la forme brève en poésie française, par André Delteil (P.U. de Provence, 2001), L’Ultra-bref. Le temps de la fulgurance, par Cécile Meynard et Karima Thomas (P. U. François Rabelais, 2021) ne sont que quelques exemples de ce regain d’intérêt. A Angers, plusieurs thèses explorant la brièveté en tant que forme ont été soutenues depuis 2015 et d’autres sont en cours. 

 

Pour ce qui concerne mes liens avec des universitaires grecs, je n’ai jamais coupé la corde ombilicale avec la Grèce et ai œuvré pour que des liens étroits se tissent entre l’Université d’Angers et des universités grecques. La tâche n’a pas été toujours facile ; la crise financière grecque, notamment, a empêché le fonctionnement d’une délocalisation de formation de négociateur trilingue en commerce international, option vin et spiritueux, à l’Institut Français d’Athènes, en 2011, tout comme elle a retardée d’un an le départ du Master franco-hellénique à double diplomation Enseignants de langues en Europe. Mais ce programme fonctionne bien depuis 2012 et les liens de mon université avec l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes sont étroits. Cette Université a été le partenaire d’Angers dans le projet européen sur les formes brèves Short Forms Beyond Borders (SFBB, 2019-2023), financé par l’agence européenne Erasmus Plus. D’autres universités grecques, comme l’Université de Thessalie, ainsi que des institutions nationales et internationales ancrées en Grèce (dont l’Institut Français) s’y sont aussi impliquées. Il y a également des accords ERASMUS entre mon Université et plusieurs universités grecques, dans nombre de domaines d’études. Toutefois, les options de coopération internationale de chaque université sont de moins en moins sujets aux liens individuels que les Enseignants chercheurs peuvent développer avec telle ou telle université. Certaines universités, dont la mienne, confient à des officines privées un travail de prospective pour élaborer une politique de coopération internationale rationnelle et rentable. La poursuite des coopérations actuelles entre l’Université d’Angers et celles de Grèce dépend donc des résultats de différentes expertises qui orientent les choix stratégiques de la Direction de l’International. 

 

5. Quels sont vos conseils pour ceux et celles qui poursuivent leurs études ou cherchent un travail en France après leurs études ?

Tout d’abord, s’ouvrir aux autres et à la différence. Partir ailleurs pour apprendre ce qu’un autre lieu a à nous offrir implique que nous devons accueillir cet ailleurs en devenant nous-même un autre. Il ne s’agit pas uniquement de passer un temps plus ou moins long à ce lieu – dans notre cas, en France – il s’agit de faire l’effort de comprendre les principes qui le font fonctionner, qui sont forcément différents des nôtres et en adopter ceux que l’on peut par choix délibéré, par plaisir si possible, plutôt que par contrainte. L’un des premiers signes d’adoption de cet ailleurs est la volonté du sujet à adapter son savoir théorique, livresque et scolaire de la langue et culture françaises à la réalité du terrain. Ce qui peut s’avérer un compliqué ou contraignant à certains. Parce que l’adoption d’un accent naturel pour parler le français, pourra paraître peu naturel à ceux qui, par exemple, comparent la nouvelle langue à leur langue maternelle prise comme norme. La pratique d’une nouvelle langue implique une nouvelle utilisation de son corps – les cordes vocales engagées pour la prononciation font partie du corps, et pour chaque nouvelle langue, ces cordes nécessitent un usage différent. Il en est de même avec la vision du monde. Chaque culture a ses propres cadres et c’est difficile d’envisager une vie ailleurs sans envisager de changement de cadre. Cette attitude permet aussi de développer un sens critique et de voir ce qui rapproche et ce qui éloigne ces cadres les uns des autres.  

 




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