Une chaussette perdue, dix de retrouvées
Le mystère des chaussettes perdues est la grande énigme du lave-linge. Tant qu’elle ne sera pas résolue, Márcia de Carvalho aura du fil sur la planche ! Cette créatrice brésilienne transforme nos chaussettes restées orphelines en modèles originaux.
Le cercle des chaussettes disparues
« Je veux vous parler d’un problème sérieux : celui des chaussettes perdues dans les lave-linge ». C’est par ces mots que Márcia de Carvalho entame la présentation de son activité, provocant inévitablement l’hilarité générale. Mais la créatrice poursuit sans se démonter : « Je suis très sérieuse ! 84 millions de chaussettes disparaissent chaque mois en France, ce qui représente autant de déchets textiles ». Derrière cette communication efficace se cache un concept ambitieux et novateur : celui de l’association Chaussettes orphelines.
Il faut se rendre dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris, pour visiter le studio de création de Márcia de Carvalho. Derrière la vitrine, un petit mot invite les passants à participer au projet et à ramener leurs chaussettes solitaires. On peut aussi y admirer la collection originale de Márcia, issue du recyclage textile. Elle est composée de vêtements, de chaussettes, d’écharpes, de bonnets et même de housses pour ordinateurs portables. Impossible de deviner que chacun de ces produits ou accessoires a été fabriqué à partir de chaussettes usées.
« Nous faisons des collectes dans les écoles, dans les mairies, explique la styliste brésilienne. Parfois, les gens viennent directement ici. Nous recevons des cartons venus de toute la France, dont une laverie à Rouen qui nous envoie systématiquement les chaussettes retrouvées ! À tel point que nous avons dû transformer notre activité artisanale de patchwork en activité industrielle de filature ».
Après la collecte, les chaussettes orphelines sont acheminées dans une usine à Castres-Gironde, non loin de Bordeaux, pour être transformées en fils de maille. Trois ans ont été nécessaires pour mettre au point la technique de filature, mais elle offre à Márcia de Carvalho une palette de création bien plus large que le tissu non transformé.
Une carrière cousue de fil blanc
« C’était une évidence pour moi, poursuit la Brésilienne. Étant styliste maille, j’ai toujours travaillé dans les filatures ». Originaire de São Paulo au Brésil, Márcia de Carvalho est née d’une mère styliste de mode et d’un père ingénieur en recyclage. Sa vocation était inscrite dans son ADN. Mais c’est vers des études de sociologie qu’elle s’oriente d’abord à l’université, laissant parler sa fibre idéaliste : « Je pensais que le monde avait besoin de réflexion, qu’il fallait changer quelque chose. Au bout du compte, j’applique aujourd’hui la sociologie à mon métier de créatrice de mode », se réjouit-elle.
Arrivée en France en 1987 pour suivre des études de stylisme à l’École Fleuri-Delaporte, Márcia commence à produire ses propres créations. Dès 1993, bien avant la massification de la tendance récup’, l’écologie est déjà le noyau dur de ses réalisations : « Pour un défilé, j’avais récupéré des serpillières que j’avais teintes et transformées en redingotes. Le résultat était très élégant. Les gens étaient très surpris quand j’expliquais que ces manteaux avaient été des serpillières dans une autre vie ! ».
Chaussettes solidaires
L’association Chaussettes orphelines naît en 2008 lorsque Márcia de Carvalho est invitée à participer au Grand Prix de la création de la Ville de Paris, un concours ouvert aux designers et aux créateurs de mode. « Je me suis creusé la tête pour trouver quelque chose d’original à présenter, se souvient-elle. En rangeant les tiroirs de mes enfants, j’ai retrouvé leurs petites chaussettes. Ça a fait "tilt" : je me suis mise à les transformer en en bonnets, en écharpe, en pulls… Ce travail a connu un énorme succès. Je pense que cela vient aussi du fait que nous nous sentons tous concernés par ces chaussettes solitaires dont on ne sait pas quoi faire ».
À l’issue du concours, la Mairie de Paris invite Márcia à prendre part à un projet qui, à l’époque, n’en est qu’à ses balbutiements : la création des Gouttes d’Or de la mode et du design, un pôle regroupant des professionnels de la création textile et du design. Au volet écoresponsable de Chaussettes orphelines va alors s’ajouter un maillon solidaire avec la création d’ateliers de réinsertion sociale. Ceux-ci s’adressent aux habitants du quartier pour lutter contre l’isolement.
De fil en aiguille
Huit ans après sa création, Chaussettes orphelines file droit vers le succès. L’association fait partie de la promotion 2016 des Acteurs du Paris durable, une initiative portée par la Ville de Paris pour valoriser les projets en faveur de l’environnement et du développement durable. À titre personnel, Márcia de Carvalho vient également d’être nommée chevalier de l’ordre national du Mérite en reconnaissance de ses années de travail en France.
Mais Márcia ne se repose pas sur ses lauriers : en 2017, elle organisera un grand défilé solidaire pour accroître la portée de son message. Les bénéfices engendrés permettront de financer la chaîne de recyclage textile, mais aussi d’offrir des cadeaux de la collection Chaussettes orphelines aux personnes défavorisées. Pour aller au bout de ce projet, Márcia est aujourd’hui à la recherche de partenaires. Avis aux intéressés !
Photos © François Rouzioux/Animal pensant