Costa-Gavras : un indéfectible engagement politique
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Z, L’Aveu, Etat de siège. Trois films d’auteur qui ont fait les beaux jours du « cinéma à message » des années 1970 et que l’on doit au « cinéaste engagé » Konstantínos Gavrás, connu en France et dans le monde entier sous le pseudonyme de Costa-Gavras. Trois films qui ont forgé à jamais la réputation de cet artiste franco-grec, aussi bien réalisateur que scénariste, producteur ou acteur, né en Grèce en 1933 et qui doit à la France la découverte du cinéma.
Costa-Gavras, réélu président de la Cinémathèque française en 2022, est aujourd’hui encore en activité. Agé de 90 ans, il réalise toujours des films et se dit prêt à poursuivre une carrière qu’il estime loin d’être achevée ! Interviewé en décembre dernier par France 3, le cinéaste souligne en effet qu’il a encore des projets et qu’il espère bien les mener à terme, même si, ajoute-il dans un entretien au journal Le Monde, « il y a toujours une peur de trahir ce que l’on a fait avant ».
Dans cette même interview, où le grand apôtre du « cinéma à message » revient sur l’ensemble de son œuvre, le cinéaste affirme de façon iconoclaste que « le cinéma n'a pas de messages à faire passer ». Et de poursuivre : « Les thèmes sont parfois politiques, c'est parfois de l'amour, ou encore de l'action... Mais surtout, c'est l'histoire d'hommes et de femmes. C'est ça, le cinéma. En ce sens, je pense que tous les films sont politiques ». Une déclaration qui en dit long sur le chemin parcouru par l’artiste, aussi bien le chemin personnel que celui du créateur.
Une dose de hasard
Né dans une famille modeste, d’une mère grecque et d’un père d’origine russe qui s'est illustré dans la résistance et dans la lutte contre le régime en place, Costa-Gavras est contraint, en raison des opinions de son père et du climat politique en général, de quitter sa Grèce natale après le lycée, pour s'installer en France.
En octobre 1955, à 22 ans, il débarque à Paris sans argent, et loge à la Cité universitaire (aujourd’hui Cité Internationale Universitaire de Paris). C’est d’abord à la Sorbonne que s’inscrit Costa-Gavras pour y poursuivre son rêve de suivre des études supérieures et d’y étudier les lettres. Obligé de travailler pour vivre, pendant ses rares loisirs, entre deux cours, il découvre le cinéma. Il devient en effet un spectateur assidu des projections quotidiennes gratuites de la Cinémathèque française qui, en ces années-là, était située rue d’Ulm, tout à côté de la faculté de la Sorbonne. Le hasard faisant donc bien les choses, c’est là qu’il se prend de passion pour le 7e art et décide de réorienter ses études. A condition d’obtenir sa Licence de lettres, il a l’autorisation de s’inscrire à l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques)[1], l’une des plus prestigieuses écoles de cinéma en France par où sont passés la plupart des grands réalisateurs français, et dont il sort diplômé en 1956.
[1] A la fin des années 80, l’IDHEC deviendra l’une des composantes de la FEMIS, École nationale supérieure des métiers de l'image et du son.
Des rêves et des combats
Après avoir suivi les cours de l’IDHEC et parce qu‘il a su montrer très tôt des aptitudes pour son art au cours de stages, il devient rapidement l’assistant des plus grands cinéastes français du temps, tels que Yves Allégret, René Clair, René Clément, Jacques Demy, Henri Verneuil, Jean Becker… Dès 1965, il réalise son premier film, un thriller, Compartiment tueurs, avec Simone Signoret et Yves Montand comme interprètes principaux, deux grandes vedettes du cinéma de l’époque, très engagées à gauche, tout comme Costa-Gavras.
Comme le dit l’éditeur de ses mémoires, il faut « comprendre que Costa-Gavras a été nourri des plus grands rêves de notre époque, comme de ses combats les plus rudes ». L’inclinaison de Costa-Gavras pour l’histoire politique apparaît ainsi dès son deuxième film, Un homme de trop, consacré à la Résistance. Mais c'est avec Z, son troisième film, peut-être le plus célèbre, nouveau dans la forme et dans le fond, réalisé en 1969 et dénonçant le régime des colonels en Grèce, qu'il acquiert sa réputation de « grand cinéaste engagé ». Ce film, qui obtient deux grands Prix au festival de Cannes et deux Oscars à Hollywood, marque le début d’une carrière internationale.
Un humaniste sincère et généreux
Dans la même veine décidément politique, suivent d’autres films, tels que, parmi les plus reconnus, L’Aveu, tourné en 1971, qui évoque les grands procès staliniens dans un contexte de « guerre froide », le film Etat de siège (1972) qui stigmatise les dictatures dans les pays d’Amérique latine, ou encore Missing, réalisé plus tard (1982), qui revient sur la disparition d'un jeune journaliste américain durant le coup d'État du général Pinochet au Chili.
Si l’on fait exception de son premier film, de Clair de femme, tourné en 1979, et de Conseil de famille (1986), l'œuvre cinématographique de Costa-Gavras est en effet placée tout entière sous le signe d'un engagement politique, indéfectible, qui s’élève certes contre l’injustice sous toutes ses formes, mais qui va plus loin, vers un « humanisme sincère et généreux », comme disent la plupart des critiques. Au total, Costa-Gavras est l’auteur, à ce jour, d’une vingtaine de films « qui ont autant changé le cinéma que notre manière de voir le monde », selon les mots de son éditeur.
Son cinéma et sa vision du monde lui ont valu de nombreux titres honorifiques, à la fois récompenses cinématographiques et reconnaissance officielle. Après l’obtention de la nationalité française en 1968, Costa-Gavras est fait Commandeur de la Légion d’honneur en 2019, l’un des plus hauts grades de la plus importante décoration française.
Mais lui, Konstantínos Gavrás, est resté cet étudiant qui a passé une partie de sa jeunesse sur les sièges inconfortables de la Cinémathèque française, rivé à un écran. Il en est même devenu le président dès les années 1980 et l’est encore aujourd’hui !
Pour en savoir plus
- Son autobiographie, Va où il est impossible d'aller, publiée aux éditions du Seuil en 2018
- Un article (interview) dans le quotidien Le Monde