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Yvonne Guo
Afin de célébrer le lancement de la plate-forme France Alumni à Singapour, l’Ambassade de France vous propose de découvrir chaque semaine le portrait d’un Singapourien qui a étudié en France pour qu’il nous parle de son parcours, de sa carrière et de sa relation avec la France. Cette semaine, nous sommes allés à la rencontre d’Yvonne GUO, Doctorante à la Lee Kuan Yew School of Public Policy

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Je m’appelle Yvonne. Je suis Singapourienne mais j’ai fait 5 ans d’études en France : un Bachelor puis un Master à Sciences Po. J’ai commencé le français quand j’avais 13 ans. Après mon A-level (ndr : l’équivalent du Baccalauréat dans les systèmes anglo-saxons) j’ai décidé de partir en France car je ne voulais pas faire comme tout le monde, c’est-à-dire partir dans un pays anglophone. Je voulais avoir une autre perspective sur le monde. Je m’intéressais beaucoup à la politique et je pensais que Sciences Po à Paris était l’endroit idéal pour l’étudier. La 3e année, j’ai fait un échange à l’Université de Pékin puis la 5e année en Suisse, à St-Gall. Maintenant je fais un doctorat à la Lee Kuan Yew School of Public Policy à l’Université Nationale de Singapour (NUS).

 Portrait Yvonne Guo

Pourquoi le français et la France ? Que vous a apporté cette expérience ?

A 12 ans, à Singapour, nous passons un examen national (ndr : le Primary School Leaving Examination ou PSLE) et en fonction des résultats nous pouvons choisir une 3e langue. Mes parents m’ont conseillé de choisir le français car ils considéraient que c’était la plus utile. J’avais aussi l’image d’une belle langue et d’une culture intéressante. A 17 ans, j’ai fait un programme d’échange dans le cadre de cet apprentissage. J’ai passé un mois dans une famille d’accueil à Lyon. Cela m’a marquée : j’ai découvert Paris, la France … Cela m’a beaucoup plu et m’a motivé pour partir étudier à Paris. J’étais vraiment curieuse de découvrir une culture différente

Je suis arrivée en France en 2006, en pleine campagne pour les élections présidentielles. Dominique Strauss-Kahn était l’un de mes professeurs à Sciences Po, de nombreux candidats venaient également à l’école participer à des débats, et j’ai eu l’occasion de rencontrer le président Jacques Chirac à l’Elysée. C’était vraiment passionnant et excitant. Je suis allée au meeting de François Bayrou et j’ai suivi un cours sur les sondages électoraux de la campagne. J’avais vraiment l’impression d’être au cœur de toute cette actualité politique. A Singapour, certaines restrictions existent : les sondages électoraux sont encadrés par des règles strictes pendant la période électorale et on ne peut pas créer d’associations de partis politiques dans les universités. En France, le débat politique est souvent beaucoup plus intense : le Front National est même présent à Sciences Po désormais ! J’avais suivi les élections singapouriennes en tant que journaliste juste avant de partir en France, j’ai donc pris conscience des différences entre les deux systèmes.

C’était un grand défi de suivre les cours exigeants de Sciences Po, en français, aux côtés des meilleurs étudiants de France, et cela n’était pas facile au début. J’ai même raté quelques matières pendant ma première année, mais pour moi cela faisait partie du processus d’apprentissage. Le chemin parcouru est plus important que la destination.

En 3e année, je suis partie à l’Université de Pékin, où j’ai suivie des cours de philosophie et d’histoire en chinois. Je connais la tradition de débat de Beida, mais considérant le climat politique actuel, j’ai été surprise par le niveau d’ouverture des professeurs. En fait, la règle, pour certains professeurs, c’est qu’il était possible de discuter en cours, mais qu’ils ne pouvaient pas publier ce qu’ils disaient. Alors que certains professeurs nous parlaient de démocratie, critiquant la ligne du parti, j’ai aussi eu l’occasion de rencontrer ceux qui étaient plus conservateurs, qui parlaient de la doctrine militaire chinoise. Je suis très heureuse que Sciences Po m’ait donné la possibilité de partir à l’étranger lors de mon cursus, d’abord en Chine, et encore une seconde fois en Suisse en cinquième année. J’ai vraiment apprécié ce climat très mondialisé, très international.

En bref, je pense qu’étudier en France m’a aidée à penser de manière critique et de ne pas accepter des constats superficiels mais de chercher des perspectives plus profondes. Je me sers aussi bien sûr du français dans mes recherches ; cela permet d’avoir accès à davantage de littérature. Je réalise également des interviews en français pour ma recherche. 

Pouvez-vous nous parler de votre doctorat que vous réalisez à la Lee Kuan Yew School of Public Policy ?

En rentrant de France, j’ai postulé à plusieurs postes de recherche et ai été acceptée en tant qu’assistante de recherche du doyen de la LKY School. Cette expérience m’a beaucoup plu et j’ai décidé de poursuive un doctorat en politiques publiques. Notre programme est différent des programmes européens puisque l’on a deux ans de cours obligatoires avant de commencer nos recherches. Mon sujet d’étude est la Suisse et Singapour en tant que centres financiers. Je m’intéresse à leurs trajectoires, similaires en termes de développement, mais très différentes en termes de système politique, ainsi qu’à leurs réactions face à la pression internationale en ce qui concerne la transparence financière. J’ai réalisé des entretiens à Singapour, à Paris et en Suisse. J’ai également donné des cours au dernier semestre à la Nanyang Technological University (NTU).

Quels sont vos projets pour le futur ? 

Sur le long terme, j’hésite entre rester dans le monde académique ou travailler au sein de l’industrie ou du gouvernement. 
Dans l’immédiat, je suis coéditrice d’un livre sur la Suisse et Singapour intitulé Singapore and Switzerland : Secrets to Small State Success qui devrait sortir à la fin de l’année (2015). C’est une compilation des travaux d’une dizaine de spécialistes qui viennent des milieux académiques ou qui travaillent dans leurs domaines respectifs. Dans les années 80, Singapour a souvent fait référence à la Suisse en tant que modèle de développement, mais aujourd’hui on constate que ces deux petits pays ont pris des voies vers la réussite différente. Donc on ne peut pas dire qu’un système centralisé est forcément meilleur qu’un système décentralisé ou l’inverse : chaque pays a un modèle qui fonctionne dans son cas.

Je fais également une série d’articles sur le cinquantenaire de l’indépendance de Singapour pour un magazine français, Presidency Key Brief (PKB), dédié aux décideurs politiques français et européens. L’un des chefs de projet m’a invitée à contribuer à quelques articles sur le développement de Singapour. Je vais notamment écrire sur le développement de Singapour en tant que centre culturel et artistique, en mettant l’accent sur la National Gallery, dont l’architecte principal est français. Nous souhaitons aussi parler des multinationales singapouriennes qui ont bien réussi à l’étranger, comme le groupe Ascott, le plus grand opérateur-propriétaire international de résidences hôtelières qui est bien implanté en France. L’objectif est de parler de Singapour en trouvant un angle qui intéressera les dirigeants français et européens.

Avez-vous un souvenir, une anecdote sur la France que vous avez envie de partager ?

Comme je l’ai déjà dit, j’ai adoré la tradition de débat française. Cela me manque beaucoup ! Depuis que je suis rentré à Singapour, j’ai mené quelques projets visant à augmenter cette prise de conscience politique chez les Singapouriens. Par exemple, avec l’Association des alumni de Sciences Po à Singapour, nous avons organisé un dialogue regroupant deux hauts fonctionnaires français et deux hauts fonctionnaires singapouriens, afin de comparer les systèmes de fonction publique dans les deux pays. Avec quelques amis j’ai aussi participé, lors des élections parlementaires singapouriennes en septembre à l’élaboration d’un sondage sur les choix politiques des Singapouriens. Quand j’étais à Sciences Po, je regardais tous les jours Les Guignols. J’aimerais qu’il y a ait à Singapour ce même esprit d’autocritique, mais aussi de sensibilisation et d’engagement politique chez les citoyens

Je me souviens également de la culture de la formalité en France : mon premier jour à Paris, j’ai pris un bus et ai demandé ma direction au chauffeur. Il m’a regardé et a tout d’abord dit « Bonjour ! », ne voulant me répondre avant que je ne le salue à mon tour. J’étais très surprise mais je reconnais l’utilité de ce genre de règles, car à Singapour, la norme est que vous pouvez entrer dans un magasin sans que personne ne vous salue. Je me considère comme francophile, la culture française fait vraiment désormais partie de mon identité. Je ne suis plus seulement Singapourienne ou Chinoise. Je suis encore avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe dans la politique et la société française. La France a beaucoup d’atouts et je trouve que les Français se sous-estiment souvent : il y a ce pessimisme, cette peur du déclin, mais pour moi c’est un très beau pays et je pense qu’il y a une grande différence entre la perception internationale de la France et la façon dont les Français se voient.

Enfin, qu’attendez-vous de la communauté alumni ?

J’ai été présidente de l’Association des Singapouriens en France (NDR, Singaporeans Students Association in France, Facebook group) et je continue à garder des liens avec mes amis restés en France. Je suis maintenant active au sein de l’Association des anciens de Sciences Po à Singapour qui compte environ 200 membres. Chaque année, nous organisons des évènements divers, y compris des sorties, des conférences, et des dégustations de champagne. Les Singapouriens qui ont étudié en France y sont très attachés et je trouve que cette plateforme est une très belle opportunité d’entretenir ce réseau. J’aimerais qu’on puisse associer à cette plateforme non seulement les anciens étudiants en France, mais également tous les francophones et francophiles à Singapour, ce qui serait encore plus intéressant.

J’aimerais enfin recommander à tous les jeunes qui envisagent une expérience à l’étranger de considérer un séjour à Paris. C’est une ville très riche qui apporte beaucoup, notamment sur le plan intellectuel et culturel. Pour moi c’est une expérience qui a changé ma vie, qui l’a rendue beaucoup plus riche qu’auparavant, et je serai toujours fière de faire partie de cette communauté d’alumni français.