Penser et écrire l’Afrique
Né au Congo, Alain Mabanckou est l’auteur d’une œuvre féconde en langue française. Cet écrivain, maintes fois primé, a développé un style unique où les questions sociales liées au continent africain s’enrobent toujours d’une touche d’autodérision.
Parler de l’Afrique avec humour
« Je n’écris pas pour le plaisir, mais pour témoigner de la réalité de mon continent », affirme l’écrivain congolais Alain Mabanckou. Ses œuvres, traduites en quinze langues, sont une description sans complaisance de l’Afrique, parfois satirique mais toujours tendre. Selon l’humeur du moment, l’auteur se tourne vers la poésie, le roman, l’essai ou le conte pour la jeunesse. Un éclectisme que résume bien son roman « Mémoires de porc-épic », prix Renaudot 2006, où Mabanckou revisite avec dérision les codes narratifs de la fable pour raconter la culture africaine.
L’écrivain né à Pointe-Noire en 1966 utilise la littérature pour réfuter ce qu’il désigne comme un « afro-pessimisme ». L’héritage de la colonisation, les dictatures, le génocide du Rwanda, l’Apartheid… Pour se sortir de ce passé, Alain Mabanckou propose une réflexion tournée vers l’avenir.
En 2012, il déclarait à propos du « Sanglot de l’homme noir », son dernier ouvrage, qu’il « consiste à refuser cette attitude de victimisation que je retrouve chez certains de mes frères noirs et à leur dire : "Pour construire votre présent, arrêtez de rêver d’une Afrique mythique, essayez de regarder ce qui se passe en face de vous, parce que le monde bouge, le monde change" ».
Par-delà les clivages identitaires
Arrivé en France à l’âge de vingt-deux ans après des études de droit à Brazzaville, Alain Mabanckou devient juriste d’entreprise avant de s’orienter définitivement vers la littérature en 1993. Aujourd’hui, l’écrivain partage sa vie entre la France, l’Afrique et les États-Unis, où il enseigne à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA).
Alain Mabanckou est souvent considéré comme un « écrivain de la francophonie noire », qualificatif qu’il critique avec véhémence. Signataire du manifeste « Pour une littérature-monde en français », publié en 2007, il milite pour une francophonie qui dépasse les clivages identitaires. « La France se questionne encore sur les binationaux, tout en restant incapable de penser un monde qui bouge et de s’imaginer comme une nation diverse, multiple, donc riche et grande », clame-t-il en 2016.
L’auteur a d’ailleurs refusé d’être publié dans la collection « Continents noirs » de Gallimard, déclarant avec humour préférer la collection « Blanche », ainsi désignée pour la couleur crème de sa carte de couverture. Mais Alain Mabanckou n’est ni un idéologue ni un militant. C’est un conteur, amoureux de la langue et de la vie, qui se cache derrière ses personnages farfelus et drolatiques pour parcourir les questions de société qui touchent l’Afrique noire.
Un collégien dans la force de l’âge
Le 17 mars 2016, Alain Mabanckou inaugurait à Paris la nouvelle chaire « Création artistique » du Collège de France. L’événement a été relayé dans de nombreux médias : il était alors le premier professeur à entrer au Collège de France au titre d’écrivain.
Intitulé « Lettres noires : des ténèbres à la lumière », son programme pédagogique propose une synthèse sur la littérature africaine de langue française. Lors de sa leçon inaugurale, Alain Mabanckou a souligné l’absence de littérature africaine en France et a orienté sa réflexion sur le rôle de l’écrivain dans un monde tourmenté par les conflits ethniques. « En 1530, année de la création du Collège de France, je n’existais pas en tant qu’être humain. En m’accueillant ici, vous poursuivez votre détermination à combattre l’obscurantisme et à convoquer la diversité de la connaissance. Mais je n’aurais pas accepté cette charge si elle était fondée sur mes origines africaines ».
Ouvert, cosmopolite, éclectique, habile conteur, sensible aux courants les plus divers de la littérature, Alain Mabanckou est aussi une figure attachante. Un ambassadeur inestimable de la valorisation culturelle francophone, dans toute sa diversité.
Photos © Collège de France