Histoire d'Alumni - Portrait de Petros STANGOS
Quel est votre parcours d’études ?
J’avais commencé mes études universitaires de droit en Grèce, en 1970, à l’âge requis de 18 ans, alors que la Grèce était à l’époque sous le joug de la dictature militaire. Un de mes premiers actes de résistance au régime militaire, fait dès mes années lycéennes, était d’apprendre, en tant que première langue étrangère, le français (!), alors que le curriculum scolaire établi par le régime militaire privilégiait l’apprentissage de l’anglais, le régime étant pratiquement inféodé aux Etats-Unis et à tout ce qui relevait de la culture anglo-saxonne. Dès le début de mes années d’études universitaires, je m’étais impliqué dans des rapports et des actes de résistance contre le régime militaire. L'été 1973, avec l’appui financier et moral de mes parents, je suis sorti de la Grèce pour suivre, à Dijon, les « Cours d’été », organisés par l’université de Bourgogne, aux fins de perfectionner mon français. Mon premier contact avec la culture et le mode de vie français fut, franchement, une sorte d’… apocalypse. A l’issue de mon « cours d’été », à la mi-août (1973), j’ai décidé de ne pas rentrer en Grèce. Je me suis aussitôt déplacé de Dijon à Paris, où j’avais vécu en état (informel) de réfugié politique jusqu’en juin 1974, lorsque j’avais pris le risque de rentrer en Grèce -encore soumise au régime dictatorial- aux fins de terminer mes études universitaires en droit. Ces onze (11) mois de ma vie parisienne en 1973-1974 ont façonné, à proprement parler, ma vie intellectuelle, personnelle et professionnelle jusqu’à aujourd’hui. J’ai une nostalgie émouvante de ces années-là, ainsi qu’une gratitude solennelle pour les familles françaises qui m’avaient hébergé à l’époque. Je vivais avec les subsides que mes parents m’envoyaient de la Grèce au compte-gouttes, à la marge de la communauté des exilés politiques grecs de Paris (parce que j’étais trop … jeune pour eux !), avec le souci permanent de ne pas tomber sous le joug de la police française (laquelle, si cela était arrivé, serait obligée de me renvoyer en Grèce), en m’engageant à des emplois occasionnels (entre autres, au journal Le Monde, où j'ai été embauché pendant presque 3 mois après sollicitation du journaliste renommé de l’époque Eric Rouleau, avec pour mission de constituer les archives du Monde concernant la Grèce !), en suivant des cours de droit public à la Fondation Nationale de Science Po de la rue St-Guillaume en tant qu’auditeur libre et en étudiant le droit grec en vue d’obtenir ma licence à Thessalonique.
Après avoir obtenu mon diplôme en droit en novembre 1974, j’ai suivi la voie qui m’a amené « avec les yeux fermés » en France, cette fois-ci en pleine légalité, à Dijon en particulier, où j’ai suivi les études de DES de l’époque en droit public. En 1975, en bénéficiant de l’appui de mes professeurs de Dijon j’ai obtenu une bourse du gouvernement français, de trois ans, renouvelée pour encore une année, qui m’a permis de préparer ma thèse de doctorat d’État en droit, obtenu en mai 1979 (le jour même où il a été signé, à Athènes, le Traité d’adhésion de la Grèce au Marché Commun, à l’actuelle Union européenne !). Tout au long de cette période d’études et de recherches en vue d’obtenir le doctorat d’État, j’avais bénéficié l’appui matériel et moral du CROUS, qui m’avais permis de partager mon temps entre Dijon et Paris, où je travaillais sur les sources juridiques relatives à la recherche indispensable à ma thèse.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ?
Depuis mon retour en Grèce, je faisais partie du corps académique de l’Université Aristote de Thessaloniki, de 1982 en 2020. Je suis devenu professeur titulaire du droit de l’UE en 1997 à la Faculté de droit de Thessaloniki. Je fus titulaire de 2000 à 2020 de la Chaire Jean Monnet en droit européen des droits de l’homme au même établissement. J’ai enseigné le droit européen à des plusieurs universités en France, en Belgique et à Luxembourg. Je faisais partie du corps diplomatique grec à deux reprises, aux Représentations Permanentes Helléniques à Genève et à Bruxelles. A plusieurs reprises et pour des périodes longues, je me suis mis au service des institutions européennes de protection des droits de l’homme tant dans le cadre de l’Union européenne que du Conseil de l’Europe, à Strasbourg. Je mentionne par excellence mon mandat au Comité Européen des Droits Sociaux à Strasbourg, pour 12 ans dont quatre en tant que vice-président de cette institution. Je suis désigné par le Sénat de l’université de Thessalonique, le 1er septembre 2020, professeur émérite, mais je continue de diriger le Centre de l’université pour la culture juridique européenne (CELC) jusqu’en décembre 2023 et d’être Fellow de l’Université de Strasbourg jusqu'au 31 juillet 2023 (University of Strasbourg Institute for Advanced Studies).
Vous avez décidé d’étudier le Droit international en France, à Dijon. A titre personnel et professionnel, qu’est-ce que cela vous a apporté ?
J’ai eu le privilège d’étudier le droit international en France, lequel fait partie intégrante de la discipline du droit public. Cela veut dire que par le biais du droit international-droit public, j’ai eu un accès cognitif au droit de l’UE (au droit communautaire, de l’époque), ainsi qu’au droit national et européen des droits de l’homme, dans lesquels je me suis engagé pour le reste de mon parcours académique et professionnel.
Depuis la Grèce, est-ce que vous avez mené des projets scientifiques ou universitaires avec la France ? Si oui, lesquels ? Continuez-vous d’entretenir des liens de coopération avec la France ?
Oui, j’ai mené des projets scientifiques et académiques avec la France à plusieurs reprises. Je vous donne l’exemple du réseau constitué dans les années 1980 et au début des années 1990 par des universitaires français et grecs, nommé Rencontres franco-helléniques de droit communautaire, qui avait été l’initiateur de plusieurs colloques en France et en Grèce, ainsi que l’éditeur des livres publiés par les Presses Universitaires de France. Je mentionnerais aussi ma participation à la constitution du Réseau académique de la Charte sociale européenne (RASCE) au début des années 2010, aux côtes de l’équipe de professeurs des universités Paris 1-Sorbonne et de l’université de Caen. Je ne peux pas ne pas mentionner l’honneur qui m’a été accordé, au milieu des années 1980, lorsque j’ai été invité par l’Académie diplomatique du Quai-d’Orsay à participer, en tant que corapporteur, aux côtes du professeur renommé de Science Po Maurice Duverger, au colloque annuel de l’Académie, qui s’est tenu « en mer », en bateau de croisière offerte par le Ministère grec des affaires étrangères (les participants sous la bannière de l’Académie, dont j’ignore si elle existe aujourd’hui, étaient des diplomates et des hommes politiques français en exercice ou en retraite, ayant à leur tête l’ex premier ministre Maurice Couve de Murville). Comme j’ai mentionné ci-dessus, je continue de faire partie des effectifs de recherche de l’Université de Strasbourg, depuis 2020.
En quoi la coopération internationale en matière de Droit, et en particulier avec la France, est importante ?
J’ai eu l’honneur de travailler en commun avec des politistes et des juristes français au moins à deux reprises, à des fins de building institution en Grèce et au niveau de l’UE. Je fus pour de longues années très proche de Jean Kahn, ancien président du collectif des institutions juives de France et ancien président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme ; avec l’appui logistique et politique de Jean Kahn et de son équipe nous avions constitué une sorte de lobbying, au milieu des années 1990, aux fins de convaincre les autorités politiques d’Athènes -et de leur offrir le know-how institutionnel nécessaire- pour créer une Commission nationale des droits de l’homme en Grèce ; mission accomplie quelques années plus tard, en ayant au surplus été élu membre de la Commission et président de section de 2004 à 2010. A ce titre, d’ailleurs, j’ai été le représentant de la Grèce à la Première Conférence euro-méditerranéenne des institutions de promotion et de protection des droits de l’homme, dont la session fut tenue à Marrakech, en 1998, parrainée par le Roi du Maroc et le Président de la République Française. Également, lorsque j’ai été en poste à la Représentation Permanente de la Grèce à l’Union européenne au milieu des années 1990, à Bruxelles, en coopération étroite avec des chargés de mission tant de la RP de la France à l’UE que de l’office du premier ministre de l’époque (Alain Jupé, si je me rappelle bien) nous avions mené l’étude de faisabilité pour la création, par le Conseil de l’UE, de la première institution de l’UE chargée de la protection des droits de l’homme : il s’agissait de la création du EU Monitoring Center against Racism and Xenophobia (EUMC), qui fut à proprement parler le résultat d’une action juridique concertée franco-hellénique ; fondé en 1998 et sis à Vienne, l’EUMC à donné sa place depuis 2006 à l’actuel Fundamental Right Agency of the EU (FRA).
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