Coopération Scientifique : Le programme MERLION – Catalyseur de la Chimie Verte
La chimie verte, c´est la conception de nouveaux procédés chimiques respectueux de l´environnement. Un domaine à forts enjeux qui rend les transformations chimiques plus efficaces et moins énergivores. Grâce au programme de coopération scientifique MERLION, le Dr. Ning Yan, Directeur du « Lab for Green Catalysis » au Department of Chemical and Biomolecular Engineering (ChBE) de la National University of Singapore (NUS) et le Dr. Karine Philippot qui dirige l´équipe « Ingénierie des Nanoparticules Métalliques » au sein du Laboratoire de Chimie de Coordination (LCC) du CNRS à l´Université de Toulouse ont eu l´opportunité de collaborer sur la valorisation de la lignine par la nano-catalyse pour la production de composés organiques et carburants verts. Retour sur cette expérience avec lepetitjournal.com et les deux responsables de laboratoires.
Comment est née la collaboration entre vos deux laboratoires
Dr. Ning Yan – C’est lors d’un congrès sur la catalyse et les nanoparticules métalliques en 2009 à Wroclaw, en Pologne, que nous nous sommes rencontrés pour la première fois avec le Dr. Karine Philippot. Nous avons alors découvert que nos activités de recherche et nos approches scientifiques étaient très complémentaires. Nos laboratoires partageant des intérêts communs, nous sommes depuis lors restés en contact. En 2012, alors que j’étais éditeur invité d’honneur pour un numéro spécial de la revue scientifique « Catalysis today », j’ai convié Karine à participer à ce numéro spécial en soumettant un article conjoint. En 2013, lorsque j’ai eu connaissance de l’appel à projet PHC MERLION, je l’ai tout de suite contactée pour réfléchir à un projet commun et déposer une candidature. Parmi les divers sujets qui nous intéressaient de développer ensemble, nous avons sélectionné l’étude de la conversion de la lignine, et notre dossier a été accepté.
En France, les activités de l’équipe du Dr. Philippot sont centrées sur la synthèse contrôlée de nanoparticules et nanomatériaux complexes à base de métaux ou d’oxydes métalliques, leur mise en forme et l’étude de leurs propriétés. Ces travaux ont pour finalité des applications dans des domaines aussi divers que la catalyse, l’énergie, la santé (imagerie médicale), ou encore la micro-électronique. Dans le domaine de la catalyse, le laboratoire développe de façon très précise des nouveaux catalyseurs à base de nanoparticules métalliques ou d’oxydes (en solution ou sur support). A Singapour, le laboratoire du Dr. Yan s’intéresse à la nano-catalyse moderne et au développement de nouveaux nano-catalyseurs extrêmement stables, performants (ils sont actifs et sélectifs), et recyclables pour améliorer les transformations chimiques d’intérêt industriel ou pour rendre possible de nouvelles réactions chimiques non réalisables à partir de catalyseurs classiques.
Avez-vous le sentiment que cette collaboration n’aurait pas été possible sans le programme MERLION?
NY – Oui, c’est certain, MERLION a été une opportunité formidable, un véritable déclencheur. Au-delà du financement, le programme nous a apporté un cadre qui a rendu possible la collaboration. Le financement de la mobilité des chercheurs allégué par « MERLION project » n’était pas notre motivation première, mais il s’est avéré parfaitement adapté aux besoins de mise en place d’une collaboration, étape où de nombreux déplacements sont effectivement nécessaires.
Dr. Karine Philippot – Le projet MERLION nous a permis d’entretenir des échanges sous la forme de visites de chercheurs et d’étudiants, et au-delà, de concrétiser notre collaboration par des travaux communs. Il a rendu possible cette coopération en offrant un cadre et un financement dédiés.
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En bref: Catalyse et Nano particules
La catalyse
– Découverte au XVIIIe siècle, la catalyse est l’accélération d’une réaction chimique à l’aide d’une substance présente en très faible quantité : le catalyseur. Elle est largement utilisée par les industries chimiques et du médicament, dont 80 % des procédés tirent profit d’une réaction catalytique.
Un catalyseur est un composé capable d’accélérer, de faciliter le déroulement et d’orienter une réaction chimique, en général dans des conditions plus douces de température et de pression, vers la formation des produits désirés sans subir globalement de modification au cours de celle-ci. Il subsiste intégralement à la fin de la réaction. […]
Pourquoi on utilise des poudres et des composés de très petite taille en catalyse
– Les poudres sont utilisées en catalyse en raison du faible diamètre des particules qui les composent (pour exemple, les nano-particules ont une taille de l’ordre de 10-9 m, ce qui correspond à un diamètre 30 000 fois plus petit que celui d’un cheveu). Cette petite taille permet d’augmenter considérablement la surface active du catalyseur. En effet, les réactions ne sont possibles qu’à la surface du catalyseur.
Les nanoparticules utilisées en catalyse offrent une surface d’interaction optimale en raison de leur forme sphérique et de leur taille.
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Quelles sont les principales réalisations et les principaux résultats de cette collaboration?
KP – […] Ce projet a permis une meilleure connaissance des compétences et savoir-faire de nos deux équipes. C’est certainement ce qui nous a permis de travailler ensemble, et ce qui nous motive à vouloir continuer. Cette collaboration nous a donné l’opportunité de tester nos nanomatériaux dans des réactions de catalyse que nous ne pouvons pas réaliser au laboratoire. Inversement, cela a permis au laboratoire du Dr. Ning Yan d’accéder à des nanomatériaux différents et très précis.
NY – D’un point de vue scientifique tout d’abord, le projet a atteint les objectifs fixés ce qui s’est avéré très satisfaisant. Nous avons, de plus, publié deux articles communs pour des revues scientifiques spécialisées, ce qui est également très important.
Mais au-delà de ces résultats, nous avons démontré notre aptitude à travailler ensemble et nous avons établi une confiance mutuelle, ce qui a beaucoup de valeur à mes yeux. Fort de cette expérience, et de la complémentarité de notre expertise, nous avons acquis la volonté et la capacité de poursuivre la collaboration, au-delà du cadre du PHC MERLION.
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Avez-vous d’autres projets de collaboration dans le cadre du PHC MERLION?
NY – Je n’ai pas, à ce jour, d’intentions de coopérations avec d’autres laboratoires, mais je souhaiterais poursuivre la collaboration avec l’équipe du Dr. Philippot, dans le cadre d’un projet plus important, avec un financement commun de la recherche, et qui sortirait donc du cadre du PHC MERLION. Nous serions aussi intéressés par un MERLION Ph.D, ou un financement de thèse en cotutelle, mais il est malheureusement aujourd’hui très difficile à Singapour d’avoir un étudiant en thèse doctorale en raison des quotas gouvernementaux en forte baisse.
KP – A ce jour, je n’ai pas d’autres projets de collaborations dans le cadre du PHC avec une autre équipe à Singapour, mais je souhaite vivement poursuivre la collaboration le Dr. Yan, notamment pour MERLION Ph.D, avec un financement de thèse en cotutelle entre nos deux équipes. Un projet ANR-NRF constituerait aussi un cadre intéressant pour continuer nos activités communes et explorer de nouveaux objectifs de recherche. L’outil de coopération PHC Merlion permettant de concrétiser des collaborations en donnant les moyens de réaliser des rencontres et échanges entre laboratoires apparait comme un tremplin pour de futures actions communes entre la France et Singapour.
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Voir les articles précédents :
Coopération scientifique – Le programme MERLION fête ses 10 ans
Entretien avec Christian Miniatura, directeur de recherches au CNRS
[1] Le Partenariat Hubert Curien (PHC) MERLION est le programme de coopération scientifique franco-singapourien, piloté par le service scientifique de l’Ambassade de France à Singapour.
[2] Voir les douze principes de la chimie verte (limiter la pollution, économie d’atomes, matières premières moins toxiques, etc.), édictés par les américains Paul Anastas et John Warner dans un ouvrage publié en 1998 : http://www.cnrs.fr/inc/recherche/programmes/docs/chimieverte.pdf
[3] La lignine est un des principaux constituants du bois, le deuxième en importance après la cellulose.
Les applications de la lignine sont principalement énergétiques en raison de son pouvoir calorifique important. Par contre, elle est gênante dans l’industrie papetière, car responsable notamment du jaunissement du papier après exposition au soleil. Ce sont de plus les produits chlorés et organochlorés trouvés dans les effluents d’extraction de la lignine des pâtes à papier qui rendent cette industrie polluante.
La lignine est utilisée comme émulsifiant dans divers mélanges tels que le béton, l’asphalte, les colorants et les cires. Sa capacité à retenir les particules en suspension dans les solutions en fait un excellent dispersant, dont les applications incluent les détergents.
Les recherches en cours visent à multiplier les applications de la lignine afin de remplacer des produits pétrochimiques tels que le noir de carbone, utilisé dans la fabrication de caoutchouc. En plus de son rôle éventuel dans les bioplastiques, la lignine pourrait servir à substituer les fibres dans les composites renforcés, tels que la fibre de verre et la fibre de carbone.
[4] L’hydrogénolyse est la rupture d’une liaison chimique par l’hydrogène. Elle nécessite un amorçage ou une catalyse et intervient dans de nombreux procédés industriels.
[5] L’Agence Nationale de la Recherche a pour mission la mise en œuvre du financement de la recherche sur projets en France. Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche.
Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour), mercredi 1er juin 2016